« Imposez-vous comme le chef de meute! »
« Il faut dominer votre chien sinon il vous dominera ! »
« Ce chien n’est pas à sa place dans le rang hiérarchique de la famille, c’est pour cette raison qu’il a ces problèmes de comportement. »
« Tous les chiens ont besoin de sentir que la hiérarchie est respectée pour être équilibrés. »
Ces phrases, vous les avez lues ou entendues, non? Peut-être même que vous y croyez un peu? Vous hésitez.
On le dit depuis si longtemps, des « grands éducateurs » l’expliquent dans leurs vidéos, alors, pourquoi ce serait faux?
C’est vrai qu’aujourd’hui, à l’heure où il est de bon ton de mettre la parole des scientifiques en doute, à l’heure où les réseaux sociaux sont devenus LA référence intellectuelle, à l’heure où tout le monde s’engouffre derrière le discours de celui qui crie le plus fort, il est, somme toute « normal » de croire encore à ces déclarations.
Le problème, c’est qu’elles ne sont fondées sur rien.
Aucune étude scientifique sérieuse (aucune tout court, même) ne va venir appuyer ces thèses selon lesquelles il existerait un rapport de domination entre l’espèce humaine et le chien (ou tout autre animal d’ailleurs).
Et si l’éducation à l’aide du renforcement positif (on récompense le bon comportement) s’est largement répandue ces dernières années, nombreux sont ceux qui, la pratiquant, n’ont pourtant pas abandonné la sacro-sainte notion de dominance.
C’est ainsi que vous pouvez voir de nombreux éducateurs se réclamant de l’éducation dite positive, proclamer haut et fort que le chien doit être remis à sa place hiérarchique pour régler les problèmes de comportement, que le maitre doit se présenter comme le chef de meute pour que tout aille mieux.
Mais d’où cela vient-il alors?
Pourquoi la croyance en cette théorie scientifiquement infondée reste t-elle si présente dans notre société?
Seul le désir impérieux de l’homme à vouloir dominer le monde, sa quête incessante d’impérialisme, explique et justifie ce discours.
L’homme, éternel conquérant complexé face à cette nature si puissante, rêverait de la dominer… enfin!
L’homme a soif de pouvoir et, quoi de plus facile que d’exercer ce pouvoir sur des êtres pacifiques et résilients ?
Attention, quand je dis l’homme, je généralise, car quelques tribus amérindiennes, africaines ou océaniennes…et quelques « résistants » occidentaux, se préservent de cette folie conquérante.
Aujourd’hui, dans le monde de l’éducation canine, n’avez-vous pas remarqué que ceux qui soutiennent encore ces thèses se donnent des allures de gros bras, de « durs à cuire à qui on ne la fait pas » avec le t-shirt moulant, la gestuelle, le montage vidéo et la musique qui vont bien?
Que leurs logos contiennent systématiquement une référence au pouvoir, au loup (ah!! LE sauvage à vénérer… mais aussi à mater!) ou à la puissance physique?
Que leurs phrases sont toujours ponctuées de ces mots : « chef », « meute », « autorité », « hiérarchie », « cadrage » ?
Et enfin, que la référence anglo-saxone et plus précisément nord américaine est omniprésente au sein de leur univers? L’Amérique, modèle d’impérialisme par excellence.
Il y a plus grave : avez-vous remarqué aussi comme ils se targuent de « sauver des chiens » ?
Mais si ces chiens sont arrivés là où ils sont, derrière des barreaux ou devant une seringue fatale, c’est très souvent parce que des humains ont voulu leur montrer « qui était le chef » justement.
C’est parce que le langage et les besoins de ces chiens ont été niés par l’aveuglement dominateur, qu’ils sont aujourd’hui aux portes de l’enfer.
Certes, parfois, c’est aussi parce qu’une personne, pourtant de bonne volonté mais mal accompagnée, n’a pas su encadrer (et non cadrer) ou guider son chien. Que cette personne a voulu tellement aller à l’encontre de ce discours de pouvoir, qu’elle en a, elle aussi, finalement oublié de respecter la nature du chien.
C’est vrai, mais c’est statistiquement bien moindre, même si messieurs les gros bras en font, bien sûr, une généralité pour étayer leurs propos et se présenter comme les sauveurs.
La science ne vous donne pas raison messieurs les gros bras (il y a aussi des dames dans l’équipe d’ailleurs ).
Vous criez fort, vous vous agitez beaucoup, vous jouez à celui qui pisse le plus loin, mais la science ne vous donne toujours pas raison …
Et moi, la science, j’y crois.
Pour illustrer, voici un extrait du bulletin de l’Académie vétérinaire de France (extrait de l’article de C. Gilbert et B. Deputte « Mieux vaut prévenir que guérir: comment sécuriser la relation homme-chien »)
« […]Or, sur le plan éthologique, la relation interspécifique ne peut être décrite d’après la hiérarchie de dominance-subordination intraspécifique (American Veterinary Society for Animal Behavior 2008, Titeux et al., 2013).
Cette dernière permet de structurer le groupe et de limiter les conflits en situation de compétition (pour une ressource alimentaire, un partenaire sexuel).
Le caractère interspécifique de la relation homme-chien exclut de fait toute compétition entre les deux espèces, l’origine de la domestication étant au contraire une symbiose, un commensalisme, entre les deux (Coppinger & Coppinger,2001).
L’homme subvient en effet aux besoins des espèces domestiques (ressources alimentaires, abris, etc.) et, en même temps, ne se trouve pas en compétition avec ces espèces pour l’accès aux ressources alimentaires ni aux partenaires sexuels.
Loin de résoudre d’éventuels soucis de communication ou de relation entre le propriétaire et le chien, les conseils qui privilégient le positionnement hiérarchique de l’humain vis-à-vis du chien favorise la multiplication d’interactions négatives et par conséquent une relation de mauvaise qualité pouvant être à l’origine d’agressions (Titeux et al., 2013).
C’est par exemple le cas de l’« alpha roll », consistant à contraindre le chien à se mettre sur le dos, prétendument pour « montrer au chien que l’homme est le dominant », comme le loup subordonné se placerait sur le dos en signal de soumission face au « dominant», notamment son père ou sa mère.Plusieurs études ont clairement montré qu’une succession d’interactions négatives favorise les agressions.
Dans leur étude des performances des conducteurs de chiens militaires, Haverberke et al. (2008, 2010) montrent que les conducteurs qui punissent fréquemment leurs chiens obtiennent de moins bonnes performances et qu’une relation de meilleure qualité (avec plus d’interactions positives) diminue les réactions agressives des chiens.
L’analyse de questionnaires par Hsu & Sun (2010) montre également que les chiens présentant le plus de réactions agressives étaient les plus punis et passaient moins de temps avec leur propriétaire.
De même, Podberscek & Serpell (1997) ont montré que la relation entre les propriétaires et des cockers moins agressifs était de meilleure qualité (plus de temps passé ensemble, avec plus d’interactions positives).
D’une façon générale, les différentes études montrent l’importance d’une relation de bonne qualité pour limiter les réactions agressives. […] »
*Impérialisme: Phénomène ou doctrine d’expansion et de domination collective ou individuelle.